1e prix du concours d'écriture 2023 – La Maison : Pierre Drevon

Vieille bicoque


Ah te revoilà vieille bicoque ! J’ai l’impression que tu as encore changé d’aspect depuis ma dernière visite. Tu n’as plus si fière allure que cela. Autrefois, tu affichais avec ostentation tes fioritures aux regards de tous les passants. Tu savais te mettre en valeur pour inviter amis et connaissances à prendre une pause, au seuil de ta porte. Mais aujourd’hui ta superbe a volé en éclats. Voilà, la triste réalité : tu n’es plus qu’une devanture enlaidie ! D’ailleurs, parlons-en de ta façade. Autrefois lisse et lumineuse, voici que le cycle des saisons a déposé sur toi une patine de tristesse indéfinissable. L’alternance d’éclaircies et d’averses a buriné le grain de ta surface qui n’est plus aussi douce. Des fissures sont apparues aux angles des fenêtres supérieures mais aussi de part et d’autre de la porte principale. Que dis-je, des crevasses oui ! Tant elles se sont élargies au fil du temps.

Derrière les murs de cette maison aux yeux fermés, on devine les aléas des décennies passées qui finirent par l’user. Les fenêtres à l’étage sont de guingois. Désormais les stores restent bloqués à mi-hauteur. Les vitres crasseuses ne laissent plus entrer la lumière du dehors, ou si peu. Cette opacité affecte l’ouvrage dans son ensemble, lui qui ne distingue plus guère la clarté du jour. Des deux petites lucarnes sur les pignons latéraux, l’une est définitivement obturée et l’autre à moitié. La musique du vent et le chant printanier des oiseaux ne pénètrent plus comme autrefois par ces deux ouvertures. J’ai conservé en moi cette nostalgie des matins paisibles, quand ces mélodies confondues au chant de ma mère envahissaient la mansarde où j’aimais me tenir.

Les ardoises aussi ne semblent plus faire leur office. Leur éclat sombre a laissé place au gris des lichens qui ont poussé ça et là, faute d’un entretien régulier. Combien d’orages essuyés et de tempêtes affrontées, sans permettre que la moindre goutte ne s’infiltre à l’intérieur afin de tout pourrir ! Aujourd’hui, vous avez perdu votre lustre d’antan, mais gagné en noblesse et en sagesse, par delà cette teinte argentée.

Partout ailleurs, tout paraît terne, émoussé, défraîchi et participe au grand délabrement. Toi la magnifique demeure de mes jeunes années, quel regret de te voir dans ce triste état ! Vestige suranné, édifice d’une époque révolue… Des bals donnés en ton sein nous ont enivré de joie, des noëls délicieux et d’autres fêtes ont réchauffé tes murs. Dans ces instants de complétude, le tirage de ta cheminée fonctionnait encore parfaitement, et toute la maisonnée respirait cette bienfaisante chaleur à plein poumons. Mais maintenant le froid règne, et la solitude avec. D’anciens plâtres s’effritent et conservent la moindre trace d’humidité. Ils se gangrènent comme une blessure mal soignée. Les ouvrants grincent sur leurs gonds et ce détail accentue l’impression d’un déclin inéluctable, d’une déliquescence lente mais sûre.

Enfin, au rez-de-chaussée, la porte a perdu son vernis carmin. Des écailles de peinture se soulèvent par endroits. Ses deux battants restent quasiment clos et ne s’ouvrent plus comme jadis sur la place du marché. La marquise qui la surplombe se délite et sa couleur oscille entre deux tons de beige. Les pots de fleurs qui agrémentaient le perron ne sont plus visités par les papillons et autres bourdons. Ils sont ébréchés, ou bien ont été arrachés de leur emplacement par une bourrasque de vent plus soutenue que les précédentes. Dans ce crépuscule, un soleil timide allonge ses rayons et parvient encore, en de rares occasions, à lécher la pierre du seuil. C’est un délice fugace, une douce sensation de chaleur qui égaye tout l’intérieur avant de se dissiper.

Autour de moi, je constate la même décrépitude. Des façades s’affaissent et des constructions tremblent sur leurs fondations. Par ici, les maisons délabrées composent un tableau d’un autre siècle. Elles constituent les reliques d’un village fantôme. Je soupire et scrute une dernière fois la façade de ma vieille bicoque. Puis, après un silence, je me résous à terminer mon inspection au moment où une voix m’apostrophe :

« – Dis donc Firmin, tout le monde t’attend pour commencer l’activité en salle commune. Et puis tu fais quoi à te regarder ainsi dans la glace ? Tu crois que tu vas rajeunir comme par enchantement pour ensuite te sauver d’ici ?

– Non, pas d’inquiétude l’ami, je faisais juste un état des lieux, bien que je n’en sois pas le propriétaire attitré. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas folichon du tout. …Ma foi ! Si la baraque menace ruine, le locataire à l’intérieur des murs reste toujours en éveil, Dieu merci ! Alors, profitons ensemble de l’instant présent, avant que l’effondrement final ne nous surprenne bientôt. Avant que ce monceau de ruines ne soit rebâtit en trois jours et que la lumière m’enveloppe enfin. »


Pierre Drevon


En plus du respect des consignes, le jury a apprécié :

- un texte vraiment surprenant : exploration du thème de la maison très originale,

– l'auteur est parvenu à faire exister une maison tout au long du texte, avant la chute très inattendue où l'on découvre la deuxième maison, celle dont il était end ait question,

– parallèle très réussi. La première lecture semble simplement descriptive, mais la deuxième lecture permet d'éclairer le texte sous un tout autre angle, on lit alors une deuxième histoire, ce que nous avons beaucoup apprécié,

– recherche d'un vocabulaire précis et varié.


La Mijoterie des mots tient ici à remercier les librairies Le Temps de Vivre à Aixe-sur-Vienne et Rev'en Pages à Limoges pour les livres offerts que nous avons pu remettre aux gagnants, en plus des carnets d'écriture faits main et d'ateliers d'écriture offerts par l'association de La Mijoterie. 

Merci au tiers-lieu La Ruchidée d'exister de nous avoir reçu.

Bravo aux étudiants pour la planification de cet événement. 

Bravo et merci à tous les participants, nous avons lu de très bonnes histoires ! 

A l'année prochaine!